Mais dis-donc… je descends à Jaurès, moi !

Entre Laumière et Jaurés, une inconnue qui me tourne le dos appuie délicatement sa tête contre la rambarde en fer, verticale, qui sert à s’accrocher pour ne pas tomber lors des brusques changements d’allure du métro.

Ma main était là avant, mais sa tête n’a pas l’air de s’en apercevoir le moins du monde.

Apoqualia 35

J’ai eu du mal à me faire à l’ergonomie du MS-Optics Apoqualia 35mm f/1,4 de Monsieur Miyazaki. D’ailleurs encore, j’en bave grave, mais bon…

Pour ce qui est du rendu, j’imagine que c’est une formule optique Sonnar (grande ouverture, petit format), car c’est paraît-il ce qu’il préfère.

Après un an d’utilisation, je me suis attaché à ce rendu cul-de-bouteille* à pleine ouverture. Ça vibre à mort, on se croirait dans une 2CV surgonflée qui fait du 180 sur une départementale. À partir de f/5,6 c’est carré.

* Mon dressage subconscient me signale que l’expression politiquement correcte serait plutôt dans ce goût-là : « À pleine ouverture, le rendu de cet objectif attachant a beaucoup de ce caractère typique de la formule optique Sonnar ».

Aussi bien que Mœbius

J’ai rêvé d’une expo d’un vieil illustrateur, qui n’avait jamais cessé de pousser plus avant son travail. Il avait poursuivi avec une telle foi et un tel acharnement que j’étais stupéfait d’y trouver des ressemblances avec le trait de plume génial de Moebius.

À mon réveil, résonne le nom de ce vieil illustrateur : Jean Giraud.

Adaptation

Les plantes qui s’adaptent le mieux à l’environnement des villes contemporaines sont les cactus. Ils nécessitent peu d’eau, peu d’entretien, n’ont pas besoin qu’on s’occupe d’eux.

Mon hypothèse est que c’est le reflet du genre de personnes qui sont aussi les mieux adaptées à notre pseudo-civilisation. On leur donne peu, et ils continuent à être vivants.

Cependant, même eux devront céder la place, quand arrivera la prochaine génération en plastique.

Démonstration

J’ai trouvé une démonstration amusante de l’absurdité nihiliste de notre monde. Elle prend la forme d’un court dialogue, mais son écriture demande de la préparation.

Là je trempe une tartine au beurre dans mon café.

Le coureur

Je viens de voir passer un coureur qui, curieusement, ne se servait pas de ses bras comme balanciers. Il avait une allure d’homme-tronc élégant. Je ne sais pas si j’ai déjà vu quelqu’un courir en frappant le sol avec ce style de feuille d’arbre infatigable, porté par le vent de ses pieds.

Ça doit être ça, le style kenyan.

Bilan

Je me suis laissé aller à faire un tour d’horizon et un bilan de ma vie. À mon actif, je peux me targuer d’être encore vivant et même en bonne santé, ce qui n’est pas si mal. Par contre, je n’ai atteint aucun des objectifs que je me suis fixé au cours de cette existence. Illustration, graphisme, écriture, photographie… beaucoup de chimères et aucun accomplissement. Pas un livre, pas une expo, rien. Je n’ai pas d’existence matérielle, un fantôme peut-être, une potentialité, vraisemblablement.

J’en suis là aujourd’hui : je dois changer quelque chose à la formule que j’ai suivi jusqu’ici. Cette formule m’a bien servi à préserver mon intégrité, mais en ne prenant pas de risque, on crève à petit feu. Comme disait Einstein, seuls les fous croient qu’en répétant indéfiniment la même action, ils finiront par obtenir un résultat différent. La stagnation m’a rattrapé voici plusieurs années, je décide solennellement de mettre fin à ce régime. Je vais changer certaines choses, des petites pour commencer et puis de plus ambitieuses. Par exemple, j’éteins tous mes écrans à 22 heures. Applications téléphoniques et internet sont conçus pour fasciner et capturer le temps de cerveau de leurs usagers. Sans nier leur utilité, leur légitimité ou leur intérêt,  je vais par exemple abandonner ces soirées séries télé jusqu’à tard dans la nuit. Désormais, le soir,  je vais dessiner, lire, écrire, réfléchir, préparer ma journée du lendemain.

Le plus important, la pierre angulaire de tout édifice de cette envergure est le suivant : je vais me forcer quand je n’aurai pas vraiment envie. Cette chose étrange que j’ai toujours refusée par principe. Je vais me forcer à faire quelque chose de fatigant que je sais être indispensable pour atteindre un objectif que je désire.

Rendez-vous dans un an.

Je commence à fatigru

Depuis une semaine j’hésite. Ma tête oscille à haute fréquence entre deux extrêmes que tout oppose, sans parvenir à effondrer la fonction d’onde. Je louche sur un beau boîtier argentique (j’en vois un qui rigole), mais mon « autre » cerveau fait valoir que c’est trop cher. Ce en quoi il n’a pas tort. D’un certain point de vue, cependant… toutefois… et c’est reparti pour un tour de montagnes russes : tergiversations, hésitations, biais cognitifs et revirements s’emploient à me tourmenter.

Bref, je patine dans la semoule.

Aéroport

Je suis en nage.

Les contrôles de bagages, de passeport, de carte d’embarquement… me stressent déraisonnablement.

Plus tard, j’ai vu un groupe de cinq gaillards : un homme mûr accompagné de trois jeunes hommes et d’un adolescent qui auraient pu être ses fils. Ils m’ont fait penser à Mangeclous, d’Albert Cohen. Équipage d’apparence hétéroclite se composant d’individus étrangement définis et au physique coloré. Leurs habits étaient banals, voire pauvres, mais eux irradiaient comme des gitans de Kusturica.

Dernier jour

La fin du mois d’août a des accents d’automne à ces latitudes — on n’est pas loin du cercle polaire. Je me rappelle la chanson de Nino Ferrer, la mélancolie de l’air et du soleil évoque un mois de septembre ou d’octobre en Provence.

Des parents promènent leurs minots. Il n’y a pas à tortiller, l’enfance est une autre planète. Ça se trahit à leur gestuelle, leur façon de marcher, etc. À six, sept ans ils commencent à atterrir, avant ça ils sont en lévitation dans une bulle d’observation.

Ce moment, pour lequel je suis reconnaissant au Ciel, est couronné d’un déjeuner de roi composé de chawarma, falafels, jus pressés de citrons et grenades, en provenance de chez Bekitzer — le meilleur cuisinier de petits plats de rue que je connaisse.

Le Musée de l’Ermitage

Mon enthousiasme immédiat a été douché en trente minutes. Le syndrome du musée m’a étouffé, étreint, traîné au bord du malaise : j’ai dû évacuer les locaux.

Ça me tombe dessus plus vite dans les très grands musées, mais je ne peux effectuer de séjours prolongés dans aucun temple de la culture, à vrai dire. À mon grand regret, je finis par me sentir enfermé par l’accumulation de chefs-d’œuvres.

Avant de partir, j’ai demandé à une jeune guide du musée si certains jours étaient moins fréquentés, ça pourrait atténuer les symptômes. Mais non.

Bienvenue à Moscou

Pendant les trois jours que je passe à Moscou avant de partir pour l’atelier de photographie à Kenozero, je m’occupe. Je passe un grande partie de mon temps à chercher des cafés où m’installer pour lire — je découvre avec stupéfaction les mystérieuses pyramides de Gizeh avec Graham Hancock dans son livre L’empreinte des dieux. Accessoirement, je ne trouve pas de café filtre single origin. C’est scandaleux, mais que faire ? Je me rabats sur un еспрессо, ou quand j’ai soif sur un американо.

Je choisis bien mon jour pour aller au parc Gorki : pluie et vent. Pas grave me dis-je, la lumière sera intéressante et des photos pourraient en émerger. Sauf que le parc est fermé. J’imagine que c’est par prudence, à cause du vent. J’apprendrai plus tard qu’un édile quelconque a eu l’idée originale de préparer des concerts dans le parc trois jours auparavant, et qu’ils étaient à la bourre pour mettre en place les scènes.

Il y a deux nuits, j’ai été mordu par une araignée, je crois. C’est enflé et ça démange. D’expérience, je sais que ça durera environ une semaine avant de s’atténuer, mais ça gratte trop et je vais dans une pharmacie chercher un baume réparateur. La communication avec la pharmacienne est difficile ; heureusement qu’un Russe qui parle anglais arrive. Il téléphone même à sa femme, qui est médecin, pour lui demander conseil sur la pommade à acheter — anti histaminique dans ce cas ! J’apprécie la gentillesse russe. Le gars se révèle faire partie de l’équipe de hand-ball de Russie, mais restons calmes, il s’agit de la partie commercialisation et contact avec la presse.

Spasiba Bolshoï

Je suis allé voir le Lac des cygnes au Théâtre du Bolshoï (le Grand Théâtre, en russe), composé par Piotr Ilitch Tchaïkovski. Les gens bien habillés, la salle extraordinaire et l’éclairage chaleureux sont certainement pour quelque chose dans l’excitation ambiante, mais c’est sur la scène que ça se passera vraiment. Les décors sont immenses, on a parfois sur scène une troupe de plus de cinquante danseurs et ballerines, tous plus aériens ou puissants les uns que les autres.

Sans rien connaître de ce ballet, je saisissais malgré tout quelques uns des enjeux du drame. C’est la force du récit purement visuel dans un pays dont on ne parle pas la langue. Il y a là une façon de construire un récit qui ne repose pas sur les mêmes principes que le récit narré. Musique, décors, danse, ou mime, dans une débauche de maîtrise technique et d’effets visuels, parviennent à créer une sympathie pour des personnages, une émotion forte.

À la fin de l’histoire je suis parti avec regret, j’aurais aimé prolonger mon séjour dans ce monde féerique.

Jumelles

Kodak Ektar 100

Je m’assois sur un galet géant et regarde passer de flamboyantes jumelles. L’une d’elles me voit la photographier et sourit. Ou bien souriait-elle à son reflet ?

Soucoupe

© Boyan Drenec
Kodak Portra 400

De la fenêtre de chez Marc, on voit un intrigant élément d’architecture. Il faudrait peut-être que je revienne avec un objectif un peu plus grand angle, un 35mm pourrait convenir.